GAUDIUM ET SPES 22

 

L’incarnation démocratique

nouvelle « hérésie » christologique

 

Durant le concile Vatican II, les novateurs modernistes ont instrumentalisé l’institution ecclésiale pour donner de l’autorité à leurs erreurs. Parmi ces erreurs, il y en a une qui pourrait bien contenir le principe doctrinal explicatif de toute la crise conciliaire.

 

L’exemple typique de  GAUDIUM ET SPES - GS 22, alinéa 2

 

Le paragraphe 2 du numéro 22 de la constitution pastorale sur l’église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes (désormais notée GS) s’exprime sur le Christ en ces termes « Image du Dieu invisible (Col. 1,15), il est l’Homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la ressemblance divine, altérée par le premier péché. Parce qu’en Lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale.

Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme »

(Editions du centurion, Paris, 1967, p. 236).

L’affirmation « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » a été noyé dans un texte à consonance traditionnelle pour passer inaperçu ; de plus, une incise de type thomiste - quodammodo, qui veut dire « en quelque sorte » - y a été inséré pour rassurer les pères conciliaires.

 

L’enseignement traditionnel sur l’incarnation

La tradition catholique enseigne que la seconde personne de la Sainte Trinité, Dieu le Fils, a assumé, dans sa personne divine, une nature humaine concrète, c’est-à-dire, un et un seul corps humain, une et une seule âme humaine, et que dans son unique personne divine, sont réunies la nature divine et une nature humaine concrète, composée d’une âme et d’un corps. Vraiment Dieu et vraiment homme, le Christ est une personne divine et n’a pas de personnalité humaine. Dans le Christ, le sujet d’action est unique, c’est la personne divine ; les principes d’action du Christ sont deux : la nature divine et la nature humaine, réunie dans sa personne divine. C’est le mystère de l’union hypostatique.

Cet enseignement était déjà clairement contenu par exemple, dans la formule d’union de 433 :  Nous confessons donc notre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Dieu parfait et homme parfait, composé d’une âme raisonnable et d’un corps (Foi catholique, Dumeige, numéro 307). Il est constant dans toute la tradition catholique. Le catéchisme du Concile de Trente et le catéchisme de Saint Pie X se font l’écho de toute la tradition catholique.

 

L’enseignement de saint Thomas d’Aquin

On devine tout de suite où se situe une première ambiguïté du texte conciliaire : elle porte sur le terme « nature humaine ». S’agit-il d’une nature concrète assumée par la personne divine, c’est-à-dire un corps et une âme ? S’agit-il de la nature abstraite ? Ou de toutes les natures concrètes de tous les hommes ?

Pour répondre à ces questions, interrogeons Saint Thomas d’Aquin. En ce qui concerne la possibilité théorique de l’union à tout homme, Saint-Thomas admet la possibilité pour le Fils de Dieu, d’assumer une autre nature concrète dans sa personne divine (Somme théologique, III q.3,a.7). Ne pas l’admettre serait limiter la toute-puissance divine. Mais, il s’agit de la possibilité théorique d’assumer une autre nature prise numériquement, c’est-à-dire un autre corps et une autre âme, et non pas d’assumer une personne humaine (III Q ;A ;3), ni d’assumer les âmes et les corps de tous les deux hommes du genre humain.

En ce qui concerne la possibilité de l’union de fait à tout homme in abstracto, c’est-à-dire à une supposée nature humaine abstraite, saint Thomas n’admet pas la possibilité d’une union du Fils de Dieu avec la nature humaine prise abstraitement (III q.4, a. 4), car la nature humaine n’existe que dans les hommes et n’existe pas en dehors des individus concrets. Admettre le contraire, ce serait tomber dans l’erreur philosophique platonicienne, c’est-à-dire admettre l’existence d’une idée supra essentielle et subsistante de « nature humaine ». La saine philosophie suffit à réfuter cette erreur.

En ce qui concerne l’union de fait à tout homme in concreto, Saint-Thomas d’Aquin n’admet pas non plus l’union à toute la nature humaine dans ses individus concrets. Il cite Damascène : « Le fils de Dieu n’a pas pris la nature humaine dans son universalité spécifique ; Il ne l’a pas davantage assumée dans tous ses suppôts… Si donc la nature humaine entière était assumée, il n’y aurait plus qu’un seul suppôt en elle, à savoir la personne qui assume… cela dérogerait à la dignité du Fils de Dieu incarné qui, selon la nature humaine, est le premier-né parmi beaucoup de frères (Col. 1,15), comme il est, selon la nature divine, le premier-né de toute créature, toutes choses ayant été fondées en Lui. Tous les hommes en effet posséderaient la même dignité. Enfin, il convient que, si une seule personne divine s’incarne, une seule nature humaine aussi soit assumée, afin que de part et d’autre l’unité soit sauvegardée. (III q. 4, a. 5) Voilà qui est clair.

Une première conclusion s’impose. D’après le magistère traditionnel et la théologie de saint Thomas d’Aquin, le Christ ne s’est uni ni à un homme, ni à tous les hommes, mais a assumé, dans sa personne divine, un et un seul corps humain, et une et une seule âme humaine. C’est ce qu’enseigne, par exemple  le 9°concile de Tolède (675) :  Nous croyons… que le Fils de Dieu et le Fils de l’homme sont un seul Christ, c’est-à-dire que le Christ, dans ses deux natures, est fait de trois substances, celle du Verbe, qu’il faut rapporter à l’essence de Dieu uniquement, celles du corps et de l’âme qui appartiennent à l’homme véritable (Dumeige, n°352).

 

L’interprétation moderniste de GS n° 22, alinéa 2

Dans une étude intitulée « Le concile Vatican II et la théologie de Jean-Paul II (Eglise et contre Eglises, actes du deuxième congrès de Si si no no 1996, p. 169 à 194), le professeur Johannes Dörmann nous apprend que le cardinal Wojtyla, futur Jean-Paul II, a fait l’exégèse du concile dans un ouvrage intitulé :  Sources de la rénovation. Étude sur la mise en pratique de Vatican II (Editions du Centurion, Paris, 1981 ; édition originale en polonais, Cracovie, 1972).

Le traducteur, à la suite de l’étude du Professeur Dörmann, a rédigé une note intitulée : Liste des principales erreurs de Karol Wojtyla (Eglises et contre Eglises, éditions du courrier de Rome, pp.194–195). Ces énoncés ou, en langage théologique, ces propositions ne sont pas des citations, mais le fruit d’un travail d’abstraction et de systématisation des principaux concepts fondamentaux qui sont à la base de la pensée de Karol Wojtyla. Deux de ces propositions nous disent que

  1. Le Fils de Dieu, au moyen de l’Incarnation, s’est uni formellement à chaque homme (proposition n° 10)
  2. ) Le Fils de Dieu étant uni à chaque homme grâce à l’Incarnation, chaque homme réalise la dignité surnaturelle (proposition n°11), c’est-à-dire ces deux affirmations éclairent le sens qu’il faut donner, dans la pensée moderniste, à GS n° 22, alinéa 2 : Pour le futur Jean-Paul II, il est clair qu’il y a comme une fusion entre les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, L’Incarnation ne semble plus être finalisée par la Rédemption, mais semble formellement rédemptrice. L’Incarnation n’est plus en vue de la Rédemption, mais la Rédemption est réalisée dans l’Incarnation.

La première encyclique de Jean Paul II

Le Professeur Dörmann ne précise que la théologie de l’archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla y voit, est « restée en substance celle du pape » que « le magistère du concile et la théologie de Jean-Paul II sont identiques », que « Karol Wojtyla, évêque et pape, est pleinement théologien de Vatican II, n’a fait que mettre par écrit et exécuter ce que le Concile portait en lui. »

Par ailleurs, Gérard Leclerc, dans son livre Jean-Paul II pape résistant, souligne ceci : « Une des références les plus constants de Karol Wojtyla, aussi bien le cardinal que le pape, est le n° 22 de la constitution Gaudium et spes  (suit la citation GS n°22, 2)  

L’auteur précise que « pour Karol Wojtyla, il constitue la clef du mystère de l’homme, et donc le complément théologique de sa pensée philosophique ».

Cette auteur précise « Nous avons souligné à dessein la phrase : Par son Incarnation (etc.) car elle est celle qui concerne le plus directement le fond de sa pensée, sa plus forte conviction et tout son dessein pastoral. » Il ajoute : « Or cette manière d’envisager l’homme, l’Eglise et le monde est celle qui définit le mieux le message du concile généralement ignoré » (op. cit. chap. 5, Bertillat, 1996, p. 128).

Le premier document publié par un pape est, en général, un discours programme. Redemptor hominis (noté RH) est la première lettre encyclique de Jean-Paul II, datée du 4 mars 1979. Plusieurs paragraphes (numéros 7,8, 11,13 et 14) entretiennent constamment la confusion entre Incarnation et Rédemption, nature et surnature. On n’y retrouve l’erreur du cardinal Wojtyla. Quelques citations permettront de s’en rendre compte.

« Parce qu’en Lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme… » (RH n°8).

« L’Eglise désire servir cet objectif unique : que tout homme puisse retrouver le Christ, afin que le Christ puisse parcourir la route de l’existence, en compagnie de chacun, avec la puissance de la vérité sur l’homme et sur le monde contenu dans le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption… » (RH n° 13).

« Chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ s’est uni à chacun, pour toujours, à travers ce mystère. Tout homme vient au monde en étant conçu dans le sein de sa mère et en naissant de sa mère, et c’est précisément à cause du mystère de la Rédemption qu’il est confié à la sollicitude de de l’Eglise… » (RH n° 13).

« L’objectif de cette profonde attention est l’homme dans sa réalisation humaine unique et impossible à répéter, dans laquelle demeure intacte l’image et la ressemblance avec Dieu Lui-même » (RH n° 13).

« L’homme, tel qu’il est « voulu » par Dieu, « choisi » par Lui de toute éternité, appelé, destiné à la grâce à la gloire : voilà ce qu’est « tout » homme, l’homme « le plus concret », « le plus réel » ; c’est cela, l’homme dans toute la plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ et dont devient participant chacun des quatre milliards d’hommes vivant sur notre planète, dès l’instant de sa conception près du cœur de sa mère… » (RH n°13)

« Tout homme sans aucune exception, a été racheté par le Christ, parce que le Christ est en quelque sorte uni à l’homme, à chaque homme sans aucune exception, même si ce dernier n’en est pas conscient » (RH n° 14).

 

Le nœud de la question

On relève, dans ses textes plusieurs confusions doctrinales :

1° Confusion entre l’Incarnation et la Rédemption ; 2° confusion entre la génération naturelle et la régénération surnaturelle ;3° confusion entre Rédemption accomplie par le Christ et Rédemption de fait de chaque homme. Le pape passe constamment de l’une à l’autre sans transition, de sorte que l’impression générale est celle d’une rédemption universelle de toute âme dès la conception humaine.

En fait ces textes ne sont intelligibles que si on fusionne les deux notions d’Incarnation et de Rédemption. Pour les comprendre, il faut, pour ainsi dire, entrer dans la confusion Incarnation–Rédemption

La doctrine catholique classique distingue, dans l’économie du salut : 1° l’Incarnation au moment de l’Annonciation, 2° la Rédemption pleinement réalisée dans le sacrifice du calvaire, 3° la conception de l’homme naissant privé de la justice originelle, 4° la justification personnelle par le baptême ou la conversion, 5° la prolongation de l’application de la Rédemption dans la vie personnelle par le moyen de la vie sacramentelle. Ces cinq choses, dans le plan du salut, sont distinctes et se réalisent successivement. Il n’en est pas ainsi pour le pape Jean-Paul II. Au moment même de sa conception, chaque homme est, ipso facto, racheté et constitué membre du Corps mystique du Christ par la vie surnaturelle qui lui est communiquée. Pour lui, coïncident Incarnation et Rédemption ; conception humaine et Rédemption communiquée à chaque homme.

 

Quel type d’union à tout homme ???

Le texte conciliaire comporte une réserve :  Le fameux quodammodo (d’une certaine manière). Ce mot est très utilisé par Saint-Thomas d’Aquin. Ce thème suggère qu’il pourrait y avoir différentes modalités d’union au Christ, et que, parmi ces modalités, s’en trouverait une qui conviendrait à l’union du Fils de Dieu à tout homme dans le mystère de l’Incarnation.

Faisons donc l’inventaire de ces modes ou moyen d’union possible. La première distinction à retenir est celle de l’union en puissance en acte (Somme, III, q 8. A,3). Examinons les modalités d’union au Christ en acte possible ici-bas sur terre.

1° L’union est hypostatique, qui ne concerne que le Christ comme cela a été exposé plus haut ; répétons-le : selon la Tradition catholique, le Fils de Dieu a assumé un et un seul corps, une et une seule âme (Cf. Saint Thomas d’Aquin, ci-dessus). Ce mode d’union à tous les hommes est donc exclu.

2° l’union par la grâce. Si le Christ, par son Incarnation s’est uni à tout homme par la grâce, union dont l’homme serait bénéficiaire dès le premier instant de sa conception dans le sein de sa mère, alors il faudrait nier le péché originel et tomber dans l’hérésie. Il est de foi que tous les hommes sauf la Vierge Marie et son Fils naissent avec le péché originel (Sommaire de théologie dogmatique, Edition du Bien Public, Trois-Rivières, Canada, 1969, proposition n° 300). Il faudrait aussi nier la nécessité du baptême. Ce mode d’union à tout homme est donc exclu.

3° L’union par le caractère sacerdotal

Le caractère sacerdotal ne peut être produit que par le sacrement de l’Ordre. Ce caractère sacerdotal est une participation au sacerdoce du Christ lequel résulte de l’union hypostatique.  (Mgr Lefebvre, la Sainteté sacerdotale, Clovis, p. 198). En dehors la réception de sacrement de l’Ordre, cette union renverrait au mode d’union hypostatique. Ce mode d’union doit donc être exclu.

L’ensemble des modes d’union surnaturels connus étant exclu quant à la possibilité de l’union du Fils de Dieu à tout homme dans son Incarnation, il faut conclure qu’il n’est pas possible que « chaque homme réalise la dignité surnaturelle » du fait même de l’Incarnation. Cet enseignement est faux et s’oppose à la doctrine de la foi tenue par la tradition de l’Eglise

 

Le mode moderniste d’union au Christ

Ne reste-t-il pas une possibilité d’union au Christ à examiner, celle des modernistes ?

Dans l’encyclique Pascendi, saint Pie X dénonce que l’on pourrait appeler un nouveau mode d’union du Christ à tous les hommes à savoir, une union par la conscience.

« Toutes les consciences chrétiennes furent enveloppées en quelque sorte dans la conscience du Christ, ainsi que la plante dans son germe. Et de même que les rejetons vivent de la vie du germe, ainsi faut-il dire que tous les chrétiens vivent de la vie de Jésus-Christ. Or la vie de Jésus-Christ est divine […], divine sera donc aussi la vie des chrétiens » (Doc. Pont. Édition du Courrier de Rome, t.1, p.443).

L’union dont parle Jean-Paul II ressemble étrangement à celle condamnée par Saint Pie. « Le concile Vatican II…a atteint ce point qui est le plus important du monde visible, à savoir l’homme en descendant, comme le Christ, au plus profond des consciences humaines, en parvenant jusqu’au mystère intérieur de l’homme qui s’exprime, dans le langage biblique et même non biblique, par le mot « cœur ». Le Christ Rédempteur du monde, est celui qui a pénétré, d’une manière unique absolument singulière, dans le mystère de l’homme, et qui est entré dans son « cœur ». C’est donc à juste titre que le concile Vatican II enseigne ceci : En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné… Parce qu’en Lui la nature humaine a été assumée non absorbée, par le fait même cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme » (RH n° 8).

La théorie envisagée par Saint Pie X, moyennant une extension, non seulement à tous les chrétiens, mais à tous les chrétiens anonymes que sont tous les hommes, pourrait donc être un principe explicatif valable qui rendrait intelligible GS 22, alinea 2. L’hypothèse semble confirmée par la doctrine conciliaire qui affirme de l’homme. « Un germe divin est déposé en lui» (GS n° 3), et que « la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu, et où sa voix se fait entendre ». (GS n°26). Ce serait donc là au cœur même de la conscience de tout homme que le germe divin est déposé, et que par son Incarnation, le Fils de Dieu se serait en quelque sorte uni Lui-même à tout homme (GS n° 22) Cette théorie néo-moderniste a bien été condamnée par le pape saint Pie X. Elle ne peut donc pas être retenue.

Selon Saint-Thomas d’Aquin, la conscience est l’acte de l’habitus de syndérèse qui fait juger de la première moralité des actes humains : or, la syndérèse est un habitus qui « fait partie de la constitution de la nature humaine. » (Dictionnaire de théol. catholique T.XIV, col. 2993). Alors, d’une part, comment la conscience, qui est un acte transitoire, pourrait conférer une union qui, elle, serait habituelle, donc permanente ? D’autre part, si cette union se fait par l’habitus de la syndérèse, que l’on appellerait alors improprement « conscience » une question se pose : comment un élément constitutif de la nature humaine pourrait-il être la cause ou l’occasion de cette union surnaturelle ? Cette thèse est donc absurde, car elle nie la distinction entre le naturel et le surnaturel (cf. Bref examen critique de GS n° 22, alinéa 2, 2° Symposium de Paris, 2003, pp. 212–228 )

Il faut ajouter que la Révélation ne contient pas les données suffisantes qui permettraient de conclure que Dieu ait institué ce moyen d’union au Christ.

 

Retour à la distinction thomiste entre acte et puissance

L’expression conciliaire grâce à son quodammodo et dans l’esprit de la théologie thomiste, ne pourrait-elle pas se comprendre ainsi : « par son Incarnation Fils de Dieu s’est uni Lui-même, non pas « en acte » mais « en puissance » à tout homme » ? Cela permettrait de dire qu’il ne réalise qu’en puissance « sa dignité surnaturelle ». C’est-à-dire que l’Incarnation poserait en tout homme une puissance qui serait le principe de l’union à Jésus-Christ. Dans cette perspective, tous les hommes, en vertu de l’Incarnation, seraient, depuis leur conception unis en puissance au Fils de Dieu. Mais il y a ici une méprise :. l’expression « être uni » suppose un lien d’union. Cela renvoie l’examen des types d’union exposé ci-dessus. Il faut donc formuler le problème en des termes plus précis :  tous les hommes, en vertu de l’Incarnation, sont-ils, depuis leur conception, en puissance d’être unis au Christ ?

Qu’est-ce que cette fameuse puissance ? Un exemple aidera à comprendre : un gland est un chêne en puissance ; il porte en lui son propre potentiel de chêne ; il porte en lui le principe de sa propre croissance vers la plénitude du chêne. Application : Faut-il donc dire que par son Incarnation, le Fils de Dieu aurait déposé en tout homme, au moment de sa conception, un principe potentiel de vie surnaturelle qui serait en lui, le principe de sa croissance surnaturelle ?

En réalité, la scène théologie enseigne que la puissance dont il s’agit n’est pas quelque chose de positif ou principe actif, mais quelque chose de négatif qui se trouve en l’homme du fait de la nature spirituelle de son âme. C’est une pure possibilité de recevoir la grâce, mais non un principe actif de production de la grâce. C’est donc ce que les théologiens appellent une simple puissance obédientielle, c’est-à-dire une non répugnance à la réception de la grâce. Cette notion puissance obédientielle est capitale si on veut éviter la confusion conciliaire entre la nature et la surnature.

Approfondissons un peu plus cette notion de puissance négative avec Saint-Thomas. : « Cette puissance repose sur deux fondements : d’abord et principalement sur les vertus du Christ qui suffit au salut du genre humain ; ensuite sur le libre arbitre » (III, q. 8, a, 3, ad 2um). C’est donc une absence d’obstacle qui rend une chose possible : la réception de la grâce. D’une part, le Christ a suffisamment expié tous les péchés des hommes ; d’autre part tant qu’il est sur la terre et avec l’intervention de la grâce, l’homme a la capacité, de par son libre arbitre de se réorienter vers Dieu ou encore de se convertir.

La réalisation de la dignité surnaturelle de l’homme, 1) est possible parce que le Christ a opéré la Rédemption principalement, non pas dans l’Incarnation mais sur le Calvaire, 2° n’est pas possible sans une conversion personnelle de l’homme qui fait usage de son libre arbitre sous l’influence de la grâce (ou l’infusion de la grâce du baptême pour les enfants avant l’usage de la raison).

À sa conception, l’homme n’est uni au Christ, ni en acte, ni en puissance, il est simplement en puissance d’être uni au Christ, étant bien précisé que cette puissance ne pose en lui aucun lien surnaturel d’union et aucun principe capable de produire cette union. Il y a simplement que, d’une part, l’Incarnation étant réalisée dans le mystère de l’Annonciation et, d’autre part, la Rédemption étant réalisée dans la Passion, tous les hommes sont de droit sous la royauté du Christ et peuvent et doivent se convertir et se sauver personnellement avec le secours de la grâce divine et des sacrements.

Il faut donc conclure que l’assertion conciliaire : « Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme » est irrecevable. Elle est purement et simplement fausse, quelle que soit l’interprétation que l’on donne au fameux quodammodo qui veut dire « d’une certaine manière ».

 

Petite erreur dans les principes…

Dans la perspective wojtylienne du Fils de Dieu qui, par son Incarnation, s’est uni à tout homme venant ce monde, il faut tirer cette conclusion erronée bien entendu, que le genre humain tout entier est le Corps mystique du Christ. Et voici justifié Lumen gentium (LG) avec son subsistit in  (LG n° 8 )  Dans ce nouveau texte conciliaire est insinué une fausse distinction entre l’église du Christ et l’église catholique. On n’y affirme que l’église du Christ « subsiste dans » l’Eglise catholique, alors que la doctrine traditionnelle a toujours enseigné que l’Eglise du Christ « est » l’Eglise catholique. Un auteur souligne que « Le Corps mystique de l’Eglise n’est donc plus l’église catholique et romaine, mais le genre humain, d’où la proposition :  L’Eglise du Christ comme société constituée et organisée en ce monde, subsiste dans l’Eglise catholique ». Cette proposition est au moins « proche de l’hérésie » (La tentation de l’œcuménisme,3° congrès de Si si no no, Edition du courrier de Rome, p. 45)

 

Les déductions conciliaires

Puisque tous les hommes, de par l’Incarnation, sont unis au Christ dès leur conception, qu’ils le sachent ou ne le sachent pas, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas, ils sont tous « des chrétiens anonymes ». C’est la thèse de Karl Rahner. D’où la liberté religieuse conciliaire de Dignitas humanae : tout homme doit pouvoir suivre sa conscience en matière religieuse et personne ne peut le contraindre en en cette matière. La mission de l’Eglise catholique est donc de dialoguer avec les hommes pour leur faire prendre conscience de leur union au Christ. D’où les textes Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme et Nostra aetate sur le syncrétisme (appelons les choses par leur nom !). Le premier concerne les rapports avec les confessions « chrétiennes » appelées autrefois plus justement schisme orthodoxe et hérésie protestante ; le second concerne les rapports avec les confessions non chrétiennes et païennes, juive, islamique et bouddhiste. La réunion d’Assise en 1986 fut, selon Jean-Paul II : une catéchèse intelligible à tous » de l’enseignement du concile Vatican II (Discours aux cardinaux, 22 décembre 1986 )

 

GS n° 22 alinéa 2 et la nouvelle messe

l’Incarnation démocratique de GS 22 alinea 2 donne un éclairage singulier sur le numéro 7 de l’Institution generalis  du Novus ordo missae  [NOM] (messe Paul VI)

« La cène dominicale est la synaxe sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi vaut éminemment pour l’assemblée locale de la sainte Eglise, la promesse du Christ : Là où deux ou trois sont réunis en mon Nom, Je suis au milieu » (Mt., 18,20).

En vertu de GS 22 alinéas 2, tous les fidèles sont unis au Christ, souverain prêtre. Le sacerdoce est donc dans le peuple : c’est donc le peuple qui devient le sujet de la célébration sous la présidence du prêtre. Au concept de l’Incarnation démocratique répond le concept de messe démocratique réalisé dans la messe de Paul VI.

 

La réduction théologique ultime de la crise

L’erreur conciliaire de GS 22, alinéa 2 est donc bien doctrinale, car elle touche au dogme de l’Incarnation. Nonobstant la prétention « pastorale » du concile Vatican II, celui-ci a bel et bien porté atteinte à l’intégrité du dogme de l’Incarnation. Non pas en niant tel ou tel aspect comme l’ont souvent fait les hérésies christologiques des premiers siècles. Mais en ajoutant au dogme. C’est que, dans l’acte de foi, on pêche aussi bien contre la foi en ajoutant comme étant de foi ce qui ne l’est pas, qu’en refusant ce qu’il faudrait croire comme étant de foi.

Selon Saint-Paul et la théologie catholique, le Christ et l’Eglise sont un seul et même corps mystique. Toucher au corps, c’est toucher à la tête, et vice versa. Une erreur de théologie sur la tête se répercute nécessairement sur le Corps mystique qu’est l’Eglise. Erreur sur l’Incarnation égale donc crise de l’église ou dans l’église. L’Incarnation démocratique de GS 22, alinéa 2 ne serait-elle pas la réduction théologique de toute la crise conciliaire ?

À titre d’exercice de style, il est toujours loisible au prêtre qui essaie de faire œuvre de théologie de proposer un remède au problème qu’il a soulevé. Voici donc un remède doctrinal qui sera éminemment pastoral : « La sainte Eglise catholique croit, enseigne et définit, comme devant être cru par tous, que la doctrine qui tient que le Fils de Dieu, en s’incarnant, n’a assumé qu’une et une seule nature humaine, c’est-à-dire un et un seul corps humain, ainsi qu’une et une seule âme humaine dans l’unité de sa personne divine, est une doctrine révélée ».

Par conséquent « Si quelqu’un dit que, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est, de quelque manière que ce soit, uni à tout homme, qu’il soit anathème ».(qu’il soit jeté en ENFER !)

 

Abbé Guy Castellain

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