ISLAM ET ESCLAVAGE (3)

ISLAM  ET  ESCLAVAGE  (3)  

 

Islam et esclavage 

 

ALGÉRIE - 18 novembre 2007 - par DOMINIQUE MATAILLET 

 

 

Au terme d   une longue enquête qui l   a mené de Nouakchott à Brunei, Malek Chebel dresse un constat 

accablant : l   esclavage a été et reste un fait musulman. 

 

Le mot le plus courant, en arabe, pour désigner l   esclave est    abd, duquel dérivent des termes comme 

   ubudiyya (« esclavage »). 

D   autres vocables sont encore utilisés, tels que raqîq (« mis en servitude »), jâriya (« esclave femme »), 

ghulîm (« esclave homme »). Et ce n   est pas tout. 

 

Au Proche-Orient, zandj (probablement issu de Zanzibar) et aswad désignent l   esclave noir, alors que 

mamlûk (littéralement « possédé ») s   applique à une catégorie particulière, la caste militaire servile. 

Ce n   est donc pas le vocabulaire qui manque en terre d   Islam pour parler de l   esclavage. 

Cette richesse sémantique tranche toutefois avec le mutisme qui entoure le phénomène. Un mutisme d   autant 

plus choquant, aux yeux de Malek Chebel, que l   esclavage a pris des dimensions considérables tout au long 

de l   histoire de cette région du monde et qu   il reste à bien des égards très présent dans le quotidien de 

centaines de millions de gens. 

 

C   est pour briser ce silence assourdissant que l   anthropologue algérien, bien connu des lecteurs de Jeune 

Afrique pour ses nombreux ouvrages autour de l   islam, s   est livré à une longue enquête. Fruit 

d   innombrables lectures, son pavé de 500 pages est aussi et surtout le compte rendu d   un voyage de plusieurs 

mois qui l   a conduit des rives de l   Atlantique au fin fond du Sud-Est asiatique en passant par les pays du 

Golfe, l   Asie mineure, l   Afrique saharienne. 

 

Le constat final est accablant : « À Brunei, au Yémen, dans les pays du Sahel, chez les Touaregs, en Libye, 

dans le Sahel tunisien, en Égypte, en Arabie, en Mésopotamie, au Soudan ou à Djibouti, il n   est pas un lieu 

gagné par l   islam où ne se soit jamais pratiqué le commerce d   esclaves. » 

 

Encore convient-il d   établir des distinctions entre les pays et de relever les caractéristiques propres des 

différentes contrées concernées. La Libye  et l   Algérie, par exemple, débouchés naturels des routes 

commerciales transsahariennes, ont surtout servi de voies de transit. Des pays tels que l   Égypte ou l   Arabie 

saoudite actuelles étaient, eux, de gros consommateurs, osera-t-on dire, de marchandise humaine. Idem pour 

la Turquie. Les Européens ont fantasmé sur les odalisques des harems d   Istanbul, sujet de prédilection pour 

les peintres orientalistes, et se sont extasiés sur les exploits militaires des janissaires de l   Empire ottoman. 

Faut-il rappeler que les premières comme  les seconds étaient des captifs ? 

 

En Afrique, on le sait, c   est à la lisière du monde noir que l   esclavage prit les plus grandes proportions. Au 

 

Maroc, où la  composante négroïde de la population saute aux yeux du voyageur, les traces en sont manifestes. 

Que sont les fameux musiciens gnaouas sinon les descendants de Noirs « importés » de la zone soudanienne 

au temps où le Maroc était une grande puissance régionale ? 

Et puis, il y a le cas de la Mauritanie, où, malgré les démentis, l   esclavage reste une réalité manifeste. La 

preuve en est que le Parlement a voté à plusieurs reprises des textes l   interdisant. 

 

Malek Chebel rappelle un indice qui ne trompe pas : de nombreuses associations d   affranchis tentent de se 

constituer en force politique. « En attendant, commente l   auteur, chaque foyer de Beidane (   Blancs   ) 

entretient des harratines noirs, fils d   anciens esclaves auxquels il donne le nom de    serviteurs   , un peu 

comme on faisait naguère à la Barbade, où l   on gratifiait pudiquement du nom d      apprentis    les esclaves 

fraîchement libérés de leurs chaînes. » 

 

Ainsi donc, une bonne part de la main-d      uvre servile utilisée dans le monde arabe venait d   Afrique 

subsaharienne - en Tunisie, le même mot,  abîd, désigne indistinctement l   esclave et le Noir“ - et tout 

particulièrement du Sahel, de l   Éthiopie ainsi que de la côte orientale du continent. Mais les Balkans et les 

steppes de l   Asie centrale furent également d   importants bassins pourvoyeurs. 

 

Combien furent-ils ? Dans le cas de la traite occidentale, les éléments de chiffrage existent : les négriers 

tenaient des journaux de bord dans lesquels était reporté le détail de leur commerce honteux. Rien de tel avec 

la traite orientale. 

 

Confrontant les diverses sources, Malek Chebel estime à plus de 20 millions le « volume total de l   esclavage 

en terres arabes et musulmanes ». Ce nombre englobe aussi bien les captifs de guerre slaves, les concubines et 

les domestiques circassiennes, que les domestiques noirs achetés à des négriers ou razziés dans les villages du 

Sahel, les marins chrétiens capturés par les corsaires barbaresques en Méditerranée. 

 

Les négriers arabes auraient donc fait « mieux » que leurs homologues européens. Les uns ont, il est vrai, sévi 

pendant quatorze siècles, contre moins de  quatre pour les autres. 

 

Faut-il chercher dans le Coran la cause du mal ? Le Livre, certes, accepte que la condition de sujétion des 

esclaves par rapport aux maîtres soit maintenue en l   état. Car l   islam est né dans une région du monde où 

l   esclavage était quasiment un mode de production. Mais il tente d   en limiter les abus, tout comme il apporte 

un progrès incontestable à la situation des femmes (notamment en limitant à quatre le nombre des épouses 

autorisé). 

 

Par ailleurs, l   affranchissement est recommandé au croyant dont il favorise l   accès au Paradis. Le prophète 

Mohammed n   avait-il pas donné l   exemple en la matière ? 

 

Vivement encouragé en théorie, l   affranchissement n   a, hélas, guère été suivi en pratique. De siècle en 

siècle, l   esclavage est devenu un fait musulman, s   inscrivant profondément dans les habitudes. Pourtant, 

c   est un sujet dont on ne parle pas. En dehors de l   Égyptien Mohamed Abdou, du Syrien Rachid Ridha, de 

l   Iranien Mirza Ali Mohamed, fondateur, au XIXe siècle, du bâbisme, qui a fermement condamné cette 

pratique, la plupart des réformateurs sont restés étonnamment discrets sur la question. 

 

Et que dire des islamologues ! Louis Massignon, Vincent Monteil ou Jacques Berque disposaient des 

informations qui leur auraient permis, en plein XXe siècle, de tirer la sonnette d   alarme. Peut-être ont-ils 

préféré, écrit Malek Chebel

 

« la hauteur mystique des grands penseurs, des philosophes et des théosophes de l   islam aux réalités 

scabreuses des marchands de chair humaine ». Ils savaient, mais leur empathie pour l   islam les inclinait à 

trouver à cette religion et aux hommes qui s   en réclament des excuses qui ne sont en rien justifiées.  

 

Quand bien même la réalité de l   esclavage arabe est reconnue, c   est souvent pour en atténuer la rudesse : il 

n   aurait pas abouti à la dépersonnalisation de l   esclave, comme cela a été le cas avec le commerce 

triangulaire Afrique-Amérique-Europe, affirme-t-on. Comme s   il pouvait y avoir une graduation dans 

l   infamie“ 

 

Mais le pire est peut-être dans l   impact que l   esclavage a eu sur les m   urs politiques du monde arabe. Dans 

un livre tout récent*, l   universitaire marocain Mohammed Ennaji explique en quoi il a fondé le rapport au 

pouvoir et donc l   absolutisme qui est encore souvent la règle dans cette partie du monde. 

 

Une fois le livre de Malek Chebel - dont, curieusement, les médias ont peu parlé - fermé, on ne voit plus la 

civilisation islamique de la même façon. Comme l   auteur lui-même, qui, pour, cette étude a dû « parcourir au 

moins 120 000 kilomètres » pour en arriver à cette terrible conclusion : 

 

« L   islam dit l   inverse de ce que les musulmans pratiquent, et c   est une énigme en soi. La duplicité 

humaine qui consiste à transformer un message d   émancipation en goulag humain fait partie 

intégrante de ce paradoxe. » * 

 

Le Sujet et le Mamelouk. Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe, éd. Mille et une nuits, 368 

pages, 16 euros. 

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